Je lis ce matin cette remarque d’un internaute genevois, sans doute un peu désabusé: «Telle personne publique est
bien top intègre pour faire de la politique». Non sans une note d’ironie, cet internaute pense comme beaucoup de gens que la morale et la politique sont des sœurs jumelles. L’une, la morale, cherche le bien; l’autre, la politique, cherche à éviter le pire. Et la remarque devient claire: on ne peut rechercher le bien (être intègre notamment) et se contenter d’éviter le pire, sans ressentir une profonde frustration ou sans faire parfois le grand écart.

Parce qu’en fait, on doit se demander jusqu’où il faut aller pour éviter le pire dans la Cité. L’homme politique est prêt, dans son action, à pactiser avec ce qui n’est pas bien pour y parvenir. Pactiser avec le mal, en somme, et cela n’est pas toujours satisfaisant. «Les Mains sales» de Sartre. Jeanne Hersch, lorsqu’elle sortait de certaines réunions politiques à Genève, crachait dans l’eau de lac en rentrant chez elle pour se purifier: c’était la philosophe qui avait dû céder à l’incroyable distance entre l’ordre théorique et l’ordre de l’action concrète, politique. Il faut évidemment faire ce qu’on a pensé; il faut penser avant d’agir, c’est vrai, mais l’action abandonne dans sa réalisation les nuances que la pensée établit. Et le symbole est lumineux: pour la philosophe genevoise, Sœur politique entachait Sœur éthique; aucun mal à comprendre que cela indisposait son esprit.

Aujourd’hui, les belles âmes néomodernes voudraient que la politique ait la même pureté que l’éthique et que le passage d’un ordre à l’autre se fasse sans heurt. Ce serait effectivement idéal, mais ce serait surtout nier la nature différente des deux sœurs. Et sans la conscience de cette différence de nature, le reproche qu’on adresse aux hommes politiques qui ont pactisé avec le mal est sans proportion avec la faute commise. La nouvelle dévotion moderne consiste à appliquer à la politique les critères de l’éthique, et le monde devient fade parce qu’inefficace.

Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

 

 

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