Le général de ce récit n’a que l’ambition dans la vie. Les honneurs et l’uniforme sont l’exosquelette sans lequel il s’affaisserait. De tous les protagonistes, il est le seul qui n’est évoqué que par son titre et ne parvient pas à la dignité d’avoir un nom d’homme. Constance, sa femme, porte en revanche bien son prénom. Sa solidité ne peut cependant arrêter la marche des choses.
La marche des choses, c’est d’abord la marche vers la guerre – nous sommes en 1914, conflit qui doit absolument éclater si son époux veut être élu général. Une guerre pour la bonne cause, pourrait dire le futur général – la bonne cause: la sienne bien sûr! Inspiré du personnage d’Ulrich Wille, qui fut général de l’armée suisse de 1914 à 1918, «La Femme du général» explore le psychisme de cet individu que rien n’arrête dans son orgie de pouvoir, pas même la mort de ses proches.
De la tragédie grecque, Michel Chevallier a repris l’idée de Destin que les humains peuvent croire maîtriser, mais qu’ils ne contrôlent pas. Ainsi le général, qui pense dominer ses semblables en rédigeant deux journaux intimes aux contenus diamétralement opposés, est-il convaincu de faire preuve de duplicité et d’une connaissance supérieure de l’âme humaine, alors qu’il ne fait qu’étaler sa propre inconstance, tout en restant incapable de la voir.
Une micro-société
De même, il est aveugle à ceux qui l’entourent. Le père Agnès, le confesseur de Constance, en qui il a toute confiance (pour le général, la «confiance» signifie seulement qu’il croit l’autre trop lâche pour lui nuire), tente de séduire sa protégée et Angel, le prisonnier de guerre que le général donne à Constance comme aide de camp, prêche le communisme, mais le général ne s’aperçoit de rien.
Finalement, l’oracle le plus célèbre du pays quitte son ermitage pour communiquer une prédiction d’importance au général, lequel commet l’erreur de Crésus avec la Pythie de Delphes. Que se passerait-il s’il engageait une guerre contre Cyrus le Perse?, demanda Crésus. Un grand empire serait détruit, répondit la Pythie. Crésus attaqua la Perse et détruisit son propre empire.
Derrière l’Histoire avec un grand H pointe le vécu. Michel Chevallier a aussi puisé dans les rencontres faites durant ses années au service de l’Etat pour dessiner les contours du général, qui sont plus fins et profonds qu’une description rapide peut le suggérer. De même, les différents protagonistes de ce roman ont chacun une psychologie propre et affirmée, au-delà de ce destin qui leur échappe. Ensemble, ils forment une micro-société qui reflète le monde.
François Berset