Commençons par le peintre Monet (1840-1926), l’une des grandes figures de l’impressionnisme. Gourmand doté d’un solide coup de fourchette, il écrivit avec soin des carnets de cuisine, dans lesquels on trouve de nombreuses recettes récoltées un peu partout, auprès des restaurants ou parmi ses amis. Monet ne cuisinait pas, mais il connaissait parfaitement toutes les techniques culinaires et pouvait faire un scandale pour une sauce ratée ou un plat mal cuit. En revanche, il découpait lui-même et avec art les viandes et les volailles. Pointilleux sur les horaires et l’organisation des journées, il avait des rituels bien ancrés. Ainsi le 14 novembre, date de son anniversaire, trois plats étaient obligatoirement servis: des bécasses, un grand poisson (brochet ou turbot) et un gâteau aux pistaches appelé le «vert-vert».

Mystérieuse banane

A Noël, le menu débutait par des œufs brouillés aux truffes, suivis d’un foie gras en croûte. Le festin continuait avec des chapons farcis sur un lit de marrons et de truffes. Après les salades et les fromages venait le tour du Christmas pudding flambé au rhum. Le repas se terminait par une glace à la banane, du café et des eaux-de-vie! A propos de la banane, précisons qu’à la fin du XIXe siècle, il s’agissait d’un produit encore rare et pas forcément apprécié de tous. L’écrivain Jules Renard note dans son Journal en date du 4 février 1884: «Goûté une banane pour la première fois de ma vie, je ne recommencerai pas, jusqu’au purgatoire».
Très porté sur la bonne chère, le compositeur Rossini (1792-1868), installé à Paris dès 1824, fréquenta les meilleurs restaurants de l’époque. Un jour, il suggéra au chef du Café Anglais l’idée d’une recette à base de viande de bœuf, de foie gras et de truffes: le tournedos Rossini était né. Mais ses inventions ne s’arrêtaient pas là, il donna également son nom à des recettes d’œufs pochés et de poulet. De plus, il mettait volontiers la main à la pâte, ou plutôt aux pâtes. A l’aide d’une seringue en argent, il farcissait un à un des macaronis avec une préparation à base de foie gras, de beurre et de parmesan. On le voit, la chasse aux calories n’était pas sa principale préoccupation.

Dumas et l’ours helvétique

Alexandre Dumas (1802-1870), l’auteur des «Trois mousquetaires», était lui aussi un grand gourmand. D’ailleurs, il consacra les dernières années de sa vie à la rédaction d’un gigantesque Dictionnaire de cuisine, regroupant tout ce qu’il avait pu récolter comme recettes et anecdotes culinaires durant de longues années. Dumas cite dans cet ouvrage une histoire qu’il avait déjà racontée dans «Impressions de voyage en Suisse». Il dit avoir dégusté dans une auberge de Martigny/VS un «beefsteack (sic) d’ours» qu’il trouva délicieux. Mais l’aubergiste lui raconta que l’animal avait dévoré la moitié du chasseur avant de mourir! «Le morceau me sortit de la bouche comme poussé par un ressort et je sentis mon estomac se retourner», raconte notre auteur. Pourtant, il s’agit probablement d’un épisode romancé, voire en partie inventé par Dumas…On ne se refait pas.
En revanche, de nombreux témoins de l’époque confirment la véracité d’une autre anecdote. Celle d’un pari pris dans les années 1850 par le comte de Viel-Castel, qui devait manger en deux heures un repas d’une valeur de 500 francs. Pour information, le salaire de base était alors de 2 ou 3 francs par jour. A la date convenue, au Café de Paris, le comte avala 24 douzaines d’huîtres, des potages, puis une «féra du lac de Genève» (il s’agissait d’une espèce particulière de féra aujourd’hui disparue). Ce poisson, qui fut facturé 40 francs, avait été transporté dans l’eau du lac et était arrivé vivant à Paris… Suivirent des faisans truffés, ortolans, viandes, fruits et desserts, le tout arrosé par quatre bouteilles de vin et des liqueurs. La carte (on ne disait pas encore l’addition) se montait à 548,50 francs. Comme l’écrit Dumas dans son Dictionnaire: «L’homme ne vit pas de ce qu’il mange, mais de ce qu’il digère».

Frédéric Schmidt

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