MUSEUM D’HISTOIRE NATURELLE ET CCO (Centre de Coordination Ouest pour l’étude et la protection des chauves-souris )

La crise du Covid-19 n’est pas seulement une crise sanitaire; c’est une crise écologique et sociale beaucoup plus vaste. Depuis la révolution industrielle, nous sommes entrés dans une période inédite de l’histoire de la terre: l’anthropocène. Cette nouvelle ère se caractérise par le fait qu’Homo sapiens est devenu le principal facteur de modification des équilibres écologiques à l’échelle planétaire. Neuf processus sont menacés par les activités humaines, le seuil de soutenabilité ayant déjà été franchi pour quatre d’entre eux (climat, biodiversité, azote, sols). Le risque épidémique constitue un paramètre supplémentaire.
Pour relancer la machine économique, faut-il donner du mou aux objectifs environnementaux et climatiques? Nos responsables politiques s’interrogent. Et pourtant: si nous voulons éviter d’autres pandémies, il est plus que jamais temps de mener une réforme écologique et urbaine en profondeur. En ce sens, la reconnaissance de l’interconnexion entre les personnes, les animaux, les plantes et leur environnement partagé est fondamentale. Outre la nécessité de préserver un cadre de vie sain, nous allons aussi être amenés à mettre du bon sens dans nos comportements en matière de libre-échange, de production et de consommation.

Tuer les chauves-souris ne va pas stopper la pandémie

On a dit beaucoup de choses concernant l’origine et la diffusion du coronavirus. Certains blâment les chauves-souris, les considérant comme responsables de la pandémie. Mais qu’en est-il réellement? Pour répondre à cette question, le Centre de coordination ouest pour l’étude et la protection des chauves-souris, Suisse (CCO) et l’Accord sur la conservation des populations de chauves-souris d’Europe (EUROBATS) ont publié sur leurs sites Internet les dernières recherches scientifiques. Il en ressort que la source d’exposition humaine au virus Covid-19 n’a pas été clairement identifiée. L’actuelle pandémie n’implique pas nos chauves-souris indigènes; elle a démarré en Chine. Certes et comme tout organisme vivant, les chauves-souris peuvent héberger différents virus, dont des coronavirus spécifiques. Les zoonoses connues provenant de chauves-souris n’ont toutefois jusqu’à ce jour jamais été transmises directement à l’homme, mais uniquement via des hôtes intermédiaires.
Le Professeur Cornel Fraefel, de la Faculté Vetsuisse de l’Université de Zurich, insiste: une transmission directe des chauves-souris à l’homme est hautement improbable dans nos régions. Contrairement à la Chine, nous ne disposons pas de marchés où des animaux sauvages sont proposés à la vente ou consommés dans des espaces confinés et dans des conditions d’hygiène hors normes. Ce genre de situation augmente les risques de propagation des virus d’un hôte animal à un autre (dans le cas du Covid-19, le principal suspect est le pangolin), puis aux humains. Cela n’aurait jamais pu être le cas dans la nature; ainsi, les marchés d’animaux vivants et le trafic d’animaux sauvages sont au cœur de cette crise sanitaire mondiale. Par ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles le virus a infecté tant de personnes n’est pas liée à ses origines, mais parce qu’il se transmet rapidement de personne à personne, tout comme les virus qui causent le rhume et la grippe.

L’éradication de l’habitat naturel des chauves-souris n’a par conséquent aucun effet sur la propagation du Covid-19; elle ne fait que détruire des espèces précieuses pour l’avenir de notre planète. Une réaction de ce type s’était déjà fait sentir au plus fort de la grippe aviaire en 2006, avec des appels à l’abattage généralisé des oiseaux d’eau migrateurs et à l’assèchement des zones humides, leurs habitats.

On a toujours besoin de plus petits que soi

Les chauves-souris ne posent donc aucun risque pour la santé des hommes tant qu’elles sont dans leur environnement naturel. Mieux encore: ces mammifères nous rendent d’énormes services, notamment en matière de pollinisation, de dispersion des graines et de lutte contre les parasites (ils sont capables d’ingurgiter entre 500 et 1000 insectes en une heure!). Cela représente une aide considérable pour l’agriculture et la sylviculture. La présence d’une colonie de chauves-souris à proximité d’un verger peut réduire de 50% l’utilisation de pesticides. La valeur économique de ces services écosystémiques est estimée en Suisse à plus de 100 millions de francs par année.
Les chauves-souris peuvent même contribuer à la santé humaine; leur système immunitaire est très différent des autres mammifères. Selon les chercheurs, la capacité des chauves-souris à combattre les maladies pourrait conduire à d’importants progrès en médecine. Les hôpitaux disposent désormais de la molécule anticoagulante extraite de leur salive, la desmoteplase. Ce médicament est actuellement le plus efficace pour dissoudre les caillots sanguins. Malgré ces divers atouts, des siècles de croyances négatives et de superstitions ont conduit à la destruction de l’habitat naturel de nombreuses espèces de chauves-souris, qui se trouvent aujourd’hui en danger d’extinction.

Pascal Moeschler et Véronique Stein

Informations
*Centre de Coordination Ouest pour l’étude et la protection des chauves-souris (CCO)
 http://www.ville-ge.ch/mhng/cco
Accord sur la conservation des populations 
de chauves-souris d’Europe (EUROBATS) https://www.eurobats.org/

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