– Des termes subtils, çà et là un imparfait du subjonctif, le tout dans un style enlevé et élégant… On est loin des phrases au présent et des «versions simplifiées» dont certains croient qu’il faut nourrir les jeunes d’aujourd’hui. D’où cela vous est-il venu?
– Je dois cela à ma mère, qui s’est toujours arrangée pour que ses enfants aient très tôt, et en permanence, un livre en cours de lecture. Et pas question de se contenter de littérature facile! C’est ainsi que j’ai acquis du vocabulaire; à mon avis c’est le seul moyen.

– L’écriture d’un premier roman n’est pas simple – beaucoup d’auteurs s’y sont cassé les dents. Avez-vous une facilité particulière?
– Pas du tout! J’ai d’ailleurs mis longtemps à terminer «Le fil rompu» et j’ai maintes fois relu, corrigé des pages. Pour moi, l’invention du traitement de texte est une bénédiction, car je crois que j’aurais renoncé s’il m’avait fallu raturer et récrire à la main!

– Vous retracez l’histoire de trois femmes de générations différentes à travers le XXe siècle. Y a-t-il des éléments autobiographiques?
– Aucun! Le récit n’a rien à voir avec l’histoire de ma famille. J’ai toujours été fascinée par tout ce qu’une personne âgée pouvait avoir vécu, cet ensemble d’expériences et de connaissances qui parfois, ne serait partagé avec personne. Je me suis aussi aperçue que la manière dont nous abordions l’histoire tourmentée du siècle dernier était souvent schématique et tranchée. J’avais envie de la voir avec les yeux de personnages qui ne savaient pas que leur rôle serait a posteriori celui de méchants ou de héros, qu’ils seraient du bon ou du mauvais côté. Mes héroïnes peuvent aimer des gens qui ne le méritent pas, avoir des conceptions moralement répréhensibles si on les observe tranquillement de notre point de vue actuel. Chacun peut être victime ou bourreau, voire les deux à la fois!

– Votre évocation du bombardement anglo-américain de Dresde est glaçante; on a l’impression d’entendre l’explosion des bombes au phosphore, de sentir s’écrouler les immeubles…
– J’ai énormément lu sur cette tragédie, en essayant de me mettre dans la peau d’une enfant qui se trouvait dans cette cité réduite à néant. Je voulais atteindre la précision et l’authenticité, faire sentir là comme ailleurs le poids qui pesait sur mes personnages, mais ce passage a sans doute été le plus grand défi. Plus généralement, je pense que la mémoire collective se perd très vite et que nous avons tous tendance à ne pas nous montrer assez curieux avec l’histoire.

– Le découpage de votre roman, avec ses retours réguliers en arrière et ses lieux variés – Pologne, Etats-Unis, Allemagne – a dû être complexe à concevoir. Aviez-vous tout planifié dès le départ?
– Mes études de scénariste de cinéma m’ont évidemment influencée. Les transitions, les fondus enchaînés… Il s’agissait d’entretenir un peu de suspense, d’éviter la progression linéaire vite lassante. Mais je n’avais pas de plan précis, les personnages – selon le cliché bien connu – m’ont portée et ont évolué tout seuls! En ces temps de (re)confinement, j’espère que les gens vont se tourner vers la lecture plutôt que seulement devant les écrans. Un livre, cela permet de voyager loin de ses préoccupations ordinaires, un luxe dont on a bien besoin actuellement.

Propos recueillis par Th.O.

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