De loin, il apparaît tel un clochard ou un épouvantail, avec ses «vêtements et son visage recousus», ses vieux jeans et ses 2 m 40 de haut. Une créature de bronze de 300 kilos un peu effrayante installée juste à côté du skate park de Plainpalais. Un touriste chinois à qui nous demandons s’il connaît cet étrange personnage répond: «N’est-ce pas Johnny, le chanteur français?» Sacrilège, non! Un adolescent vient au secours de notre homme venu du Céleste Empire: «Mais non, c’est la statue de Frankenstein!». Presque juste. S’il n’y a pas, sur place, de plaque explicative indiquant qui est représenté sur cette sculpture inaugurée en 2014 par le Ministre de la culture de la Ville de Genève, Sami Kanaan, on trouve en cherchant bien son origine. Elle s’appelle «Frankie a.k.a. The Creature of Doctor Frankenstein» et a été réalisée par le collectif d’artistes genevois KLAT, spécialisé dans l’art contemporain et l’événementiel. Ses auteurs ont voulu «rendre hommage à la figure du vagabond et du marginal.» Quand la créature enjambait le Salève La statue semble marcher, elle regarde les jeunes skateurs, les marchés sur la plaine de Plainpalais. Au loin, elle visualise le Salève, une montagne qu’elle connaît bien pour l’avoir enjambée… mais aussi Chamonix, la Mer de glace. Mais pourquoi diantre ce monstre en bronze est-il installé sur la plaine? Parce que c’est tout simplement à Plainpalais que la créature du Dr Frankenstein a perpétré son premier meurtre: celui de William, le jeune frère de son créateur. On le sait – ou pas – mais le Dr Frankenstein, le célèbre personnage du roman de Mary Shelley est «né» dans notre canton en 1816. A Cologny plus précisément, dans les salons de la villa Diodati située chemin de Ruth, dans une magnifique demeure surplombant le lac avec vue imprenable sur le Jet d’eau. En cet été orageux de juin 1816, on s’ennuie un peu à la villa Diodatti, même entre jeunes intellectuels et surtout après des jours de mauvais temps. Mary Shelley écrira : «Ce fut un été humide et rigoureux et la pluie incessante nous confinait des jours entiers à l’intérieur de la maison». De fait, on a appelé 1816 «l’année sans soleil». Un défi par ennui Au soir du 16 juin 1816, cinq personnes sont réunies à la villa Diodati au côté de Lord Byron, aristocrate en rupture de ban avec l’Angleterre, dont Percy Shelley et sa future épouse Mary, 19 ans seulement. A l’époque on ne pianote pas sur un portable pour passer le temps…. Lord Byron propose ainsi à sa petite assemblée littéraire un défi : «Chacun de nous va écrire une histoire de spectres.» Dix jours plus tard, le best-seller est né: «Frankensetein ou le Prométhée moderne». L’ouvrage de Mary Shelley sera publié anonymement et à seulement 500 exemplaires le 1er janvier 1818: il raconte la création par un savant genevois, le Dr Viktor Frankenstein, d’un être vivant assemblé avec des parties de chairs mortes. On connait la suite. Horrifié par l’aspect hideux de l’être auquel il a donné la vie, Frankenstein abandonne sa créature. Mais cette dernière va se venger, après avoir été rejetée et persécutée par la société. D’abord catalogué en roman gothique, le livre de Mary Shelley sera considéré comme un chef-d’œuvre de ce genre littéraire, auparavant décrié. Genferei Personnage de fiction mondialement connu aujourd’hui, repris à de multiples occasions aussi bien au cinéma qu’en littérature ou en bande dessinée, sa statue genevoise a bien failli ne pas trouver asile à Plainpalais et ce, contre l’avis du patron de la Culture, Sami Kanaan. Car après le lifting (d’ailleurs décrié) de la plaine de Plainpalais, il ne fallait pas entendre parler d’installer quoi que ce soit de nouveau sur les lieux par les architectes et surtout par le Ministre en charge des constructions et de l’aménagement de l’époque, Rémy Pagani. La fiction l’a heureusement emporté sur la réalité genevoise.

Valérie Duby

A lire sur le site du Journal de l’Immobilier

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