Garçon, un pastis et un peu moins de vent!

L’interprète de «La Passionata», succès de l’année 1965, le César du deuxième meilleur rôle pour «Garde à vue» en 1982, aux côtés de Romy Schneider et Lino Ventura, l’incarnation de Nestor Burma à la télévision dans les années 90, c’est cet homme-là qui s’est confié à nous lors de son passage à Genève à l’occasion de la publication de son cinquième ouvrage: «Garçon, un pastis et un peu moins de vent» (Editions Neige et Ecriture).

On a tous en mémoire le refrain de la chanson «La Passionata» dans ce registre aigu, alors que la voix est baryton léger, ce qui était rare dans la musique que Guy Marchand: le jazz et la variété, en l’occurrence. Ses instruments de musique? Le saxo et le chant. Il avait un talent naturel, comme on dit. «Moi, dit Guy Marchand, j’ai eu une enfance très heureuse, avec un père métallo à Belleville (banlieue Nord de Paris) et une mère au foyer. Ils ont tout fait que pour je réussisse alors qu’ils n’avaient rien d’autre dans les mains que leur amour pour moi». Singulier clin d’œil sur sa vie, pour un acteur qui a joué plus de sales types ou de séducteurs que tout autre, dans sa vie à l’écran. Jamais vraiment méchant, dans le sens que le cinéma prête au qualificatif, car il a su rendre attachants ces personnages de seconde zone. «On est peut-être mauvais, mais on a tous un côté lumineux!».

On se souvient de son rôle dans «L’Eté en pente douce»: c’était une sorte de margoulin gueulard aux allures de maquereau de province qui s’était attaché la belle Pauline Laffont. Guy Marchand se montre superficiel, passionné par son Alfa Romeo plus que par la femme qu’il a soulevée, on ne sait comment. Crispant, mais pauvre type attirant la compassion. «C’est cela, les petits, dit le comédien au sourire charmeur, c’est savoir séduire, plaire, se faire aimer…». On se souvient du film, mais se souvient-on de son César en 1982? «Cela m’a fait plaisir, car cela emm… les autres!», poursuit-il, l’air canaille. «Comme la Légion d’honneur! Mais j’en suis très fier». Guy Marchand arbore d’ailleurs la barrette rouge sur son revers de costume: on doit exhiber ses distinctions quand on est en société.

La musique avant tout

Alors que nous conversons sur son livre récemment sorti, il passe d’un sujet à l’autre avec l’habileté d’un homme de scène. «Moi, c’est la musique qui m’a fait devenir qui je suis». On se souvient de Nestor Burma, qu’il incarna quarante fois pour la télévision, et de son souffle rageur, lorsque qu’il faisait sonner trois notes de saxo tenor, assis de travers sur son bureau, avec sa secrétaire à la démarche chaloupée. «C’est le swing, ça, les Américains, la guerre, bref, je vis avec mon passé, normal, mais j’ai nourri mes rôles de ces expériences dans les caves de Paris, avec de mauvais petits orchestres de jazz». Lorsque l’artiste a passé le pas de porte d’Eddy Barclay, il l’a conquis, mais il lui a aussi soufflé sa jeune femme du même coup. Ils se sont mariés, ils ont eu deux enfants, un garçon et une fille. Guy Marchand ouvre son portefeuille: «Regardez-moi ce beau gars, 1 mètre 92, pas comme moi, son papa. Il fait ses premiers pas dans mon métier».

Un esprit à la Pagnol

Le livre est un roman court qui met en scène deux personnages décidant, à un âge avancé, de faire le bien autour d’eux, mais sans qu’on en parle. «Ce sont deux samouraïs», dit Guy Marchand, fier de son image très évocatrice. L’action se situe dans le Midi de la France, sa terre d’adoption. Il y fait chaud, le ciel est désespérément bleu, on y crève de chaud, comme dans les champs de tournesols que peignait Van Gogh, comme dans les paysages de Pagnol: «On comprend qu’il soit devenu tapé, Van Gogh, dans une pareille chaleur!». Ces fleurs marquent les chapitres de l’ouvrage comme elles suivent le mouvement du soleil et des humeurs. Les deux vieux types sont à la retraite et décident de faire du bien, comme recueillir une prostituée à la dérive pour la soigner et l’aider à trouver son chemin. Le mécréant auteur est pourtant plein de références bibliques. «Marie-Madeleine, c’est elle qui a approché le Christ au plus près. Une sainte femme. D’ailleurs, lorsque mes parents se sont rencontrés, ma mère voulaient rentrer dans les ordres! Mon père l’en a détournée, pour mon plus grand bonheur. Je ne serais pas là». Puis après un autre sourire enjôleur, Guy Marchand prend un air songeur: «Vous savez, ce n’est pas juste que les femmes meurent. C’est la vie qui s’arrête. C’est un drame». Puis il revient au livre, citant tel ou tel aphorisme qu’il a su insérer dans son texte, puis revient à l’armée – il a fait la guerre d’Algérie, comme légionnaire, et conclut.

«Là, j’ai connu un véritable homme de droite, dur et intraitable!». Un silence qui laisse à son interlocuteur le temps d’attendre la suite: «François Mitterrand». Nous nous quittons là. L’instant fut chaleureux, amical. Le jeune auteur assume si bien son âge qu’on en reste coi.

Daniel Bernard

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