S’il existait dans la pharmacopée de nos ancêtres des remèdes à base de plantes qui pouvaient se montrer efficaces, d’autres étaient inutiles, voire dangereux. Ainsi, «un dragme de fiente de paon séchée et infusée dans du vin blanc» combattait les vertiges. Pour rétablir un «estomac ruiné», il fallait infuser à froid «une once d’yeux de crabes broyés dans trois pintes de vin». Enfin, la potion phare connue depuis l’Antiquité et censée guérir tous les maux ou presque, la thériaque de Venise, contenait des vipères séchées et des rognons de castor, entre autres. Cependant, il existait un remède particulièrement horrible appelé momia ou mumie: de la poudre de momie. Cette préparation était réputée cicatriser, désinfecter et anesthésier.
Le médecin perse Avicenne (XIe siècle) la trouvait excellente pour les fractures, les contusions, les migraines, les maux de gorge et la toux (rappelons qu’il existe actuellement un Hôpital Avicenne en région parisienne et un autre au Maroc). En plus, l’extrait de momie était également réputé guérir le mal aux oreilles, aux dents, aux reins, à l’estomac, ainsi que les rhumatismes et les coupures. Le remède se présentait sous forme de baume, d’emplâtre, de liqueur ou de petits morceaux à mâchonner, mais surtout en poudre. A l’origine, on pensait que si le corps des pharaons pouvait rester plusieurs siècles en bon état, c’était parce que les onguents utilisés avaient des propriétés extraordinaires. Au début, on se contenta de gratter les momies et leurs bandelettes, puis on passa à la momie entière.
Fabrication de fausses momies
Donc, pour être vraiment efficace, cette poudre devait provenir de vraies momies égyptiennes. Au XVIe siècle, la consommation de cette substance avait atteint une sorte d’apogée. Des momies entières ou déjà en poudre étaient exportées d’Egypte sur des navires à destination de l’Europe. Cependant, le pillage des tombeaux avait été si grand, dès le Moyen Age, que les vraies momies devenaient rares. Il faut préciser que la «mumie» se vendait pour une petite fortune et excitait bien des convoitises. C’est pourquoi des marchands sans scrupules se mirent à en fabriquer de fausses, notamment en récupérant des cadavres de condamnés à mort et desséchés ensuite par divers procédés. Mais vu la demande, on se mit «officiellement» à fabriquer des sortes d’ersatz de mumie selon des procédés qui devaient tout de même «garantir l’efficacité» du produit.
Dans un livre datant de 1677 et intitulé «Essay de la pharmacopée des Suisses» (largement réédité), on trouve une horrible rubrique «mumie» qui explique la marche à suivre: «Prenez le cadavre entier d’un homme rousseau (roux) de l’âge d’environ 24 ans, mort de mort violente frais et sans tare (…) découpez par morceaux ses chairs musculeuses et les saupoudrez de poudre d’absinthe, gentiane…» (voir le texte complet sur l’illustration).
Un traitement controversé
Le grand chirurgien et humaniste Ambroise Paré, dans son «Discours de la momie» paru en 1582, condamnait son usage. «Cette méchante drogue ne profite en rien aux malades (…) elle leur cause grande douleur à l’estomac, avec puanteur de bouche et grand vomissement». Il conseille plutôt aux apothicaires de la vendre aux pêcheurs pour attirer les poissons! En dépit de ces sages conseils, on pouvait encore lire dans le tome XI du «Journal de Médecine» de 1774 des remarques favorables sur son utilisation. Un certain Dr de Sevelinges citait plusieurs cas de guérison, notamment celle d’un homme tombé d’un toit! «Après une saignée et la prise de momie d’Egypte en poudre, il vomit, sua 36 heures et sortit ensuite de son lit frais comme une rose»… On ajoutera que ce pauvre homme devait avoir une santé de fer pour survivre à un pareil traitement. Ce médecin relate aussi le cas d’un paysan ivre, tombé dans un fossé rempli d’eau où il passa la nuit. Retrouvé presque sans vie le matin, la fameuse poudre le remit sur pieds en deux jours…
Il faudra tout de même attendre les débuts du XIXe siècle pour voir disparaître des officines cet affreux produit.
Frédéric Schmidt