L’Art de la Pierre 1

Chaque forteresse imprenable a son trou de souris

Les murailles de l’homme sont bâties sur la terre vivante. La terre vivante riche de ses lombrics, de ses taupes, de ses blaireaux. Riche de l’eau qui gèle, qui fait éclater, brique, parpaing et béton. Riche de ses propriétaires, qui ne sont pas les clients du notaire, mais plutôt les micro-organismes millionnaires. Ces microbes troglophiles qui habitent à plus de 100 000 le millimètre cube d’eau. Depuis toujours propriétaires, jamais locataires. Ces animaux minuscules sans crédit hypothécaire qui squattent sans être inquiétés. Qui a peint l’homme sur la muraille? La chauve-souris en quête de faille? Les papillons de nuit, les araignées, les lézards, les moustiques, les scarabées?
L’homme a mesuré, arpenté, cubé, planifié, monétisé, évalué, surévalué, margé, promotionné, travaillé. L’homme s’est couronné propriétaire absolu. C’est ma grotte. Ma maison. Mon immeuble. Ma citadelle. Mon patrimoine. Ma propriété. Personne n’a le droit d’y toucher. Cela ne te gêne pas si j’y construis mes colonies, lui dit la fourmi. Tu sais, nous les fourmis, nous avons notre propre système de gouvernance, nos propres architectes et ingénieurs pour résoudre les problèmes complexes. Nos experts pour chaque tâche. Nos taupes et nos courtilières pour creuser les tunnels. Nos savantes ès sciences des matériaux et la fourmi Rockefeller pour financer le chantier.
Joints, grilles, canalisations, trous de ventilation, fondations, conduites de chauffage, câbles, bois, grignotage, marbres, ciment, sable, ferraillage, il fait bon m’y aiguiser les dents. Petit mammifère rongeur, oreilles rondes, museau pointu, grand amateur de vers de terre et de recettes végétales, Madame la souris habite là où elle fait son trou. C’est chez elle de la cave au grenier. Il ne sert à rien de lui faire la guerre. Pour une souris prise à la trappe, il en revient une infestation. 
L’homme a certes développé une science économique de la pierre et fait son blé. A terme cependant, il lui faudra partager les bénéfices et les plus-values avec les partenaires naturels. Les fourmis, les taupes, l’eau, les microbes, les cancrelats, les vers de terre. Sans oublier la souris domestique. Faute de quoi il pourrait bien voir sa forteresse s’effondrer.

Sun Tzu l’immobilier, pcc: Pécub

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