Je parcours dans le journal la rubrique nécrologique: ce fut un bon père, un fidèle mari, un pieux chrétien, un loyal compagnon, un agréable collègue, un honnête travailleur. Ailleurs, j’entends l’éloge des morts: ce sont toujours les meilleurs qui s’en vont! Comme si les corbillards étaient remplis par de parfaits humains exemplaires, sans ambition, sans comptes à régler, sans ressentiment jamais. Puis, j’écoute Brassens qui chante: les morts sont tous de braves types. Formidable métamorphose qu’impose la Camarde bienfaisante à ceux qui ne vivent plus!
Mais alors, puisqu’on n’enterre que des gens de vertu une fois qu’ils ont cassé leur pipe, à part deux ou trois crapules honnies, je me demande où se trouve le cimetière des vrais salauds, des pâles canailles, des forbans, des extrémistes, des scélérats, des voyous, des sorcières, des profiteurs, des truies lubriques, des voleurs et des escrocs. Mais que sont devenus les imbéciles qui se targuaient d’être approuvés par le plus grand nombre? Où les a-t-on mis?
Alors je suis allé visiter quelques cimetières afin d’y repérer une éventuelle épitaphe: «Ci-gît une parfaite ordure qui emmerda tout le monde et a pourri la vie de ceux qui l’ont croisé!». Eh non, rien de tel! Pas un mot plus haut que l’autre! Même pas la jolie inscription tombale de Cyrano. Mais des sépultures alignées, lisses, entretenues, où de braves morts goûtent à l’envi une paix méritée et éternelle. Et qu’est-ce que l’éternité? C’est le temps sans moi. Sans moi… Je déambule lentement entre les tombes; la voilà peut-être la clef que je cherchais: c’est la brève présence de chacun de nous dans ce monde minoritaire des vivants qui fait que, pour nous, l’éternité n’existe pas. Mais qu’en revanche existent le mal, la haine, la crapulerie. La mort métamorphose la vie de chacun en une belle entreprise. Sans doute, oui, fort belle! Je m’éloigne, absorbé dans mes songeries. La porte de fer forgé grince dans mon dos. Je l’entends à peine. C’est déjà l’automne!

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