Un des plaisirs du citadin que je suis est de m’installer à la terrasse d’un café, par beau temps, d’allumer une cigarette et de regarder passer les gens. Oui, longtemps, j’ai fumé de bonne heure. Aujourd’hui je ne fume plus, mais j’aime tout autant les terrasses des cafés qui offrent une situation théâtrale unique: chacun est observé et chacun observe les autres. Cette situation fait que tout le monde y joue un rôle, laisse de côté son vrai moi, avec ceci de particulier que la terrasse est une machine à produire de l’oisiveté. Donc c’est le rôle de l’oisif qui permet à chacun d’y trouver sa juste place. Des bruits de verre, de tasses, de soucoupes, des bribes de paroles, des rires: on est plongé entièrement dans une gaine sonore. Et ce décor où l’on baigne est accompagné par l’absorption de substances nocives: l’alcool, la fumée, le café. On montre donc ostensiblement qu’on vit pour de tout autres raisons que celles liées à la conservation de l’espèce. On ne fait rien, on s’enivre, on fume, bref on s’entraîne à la vie dissolue!
A la terrasse des cafés, on touche aussi à une dimension littéraire de l’être humain: c’est une sorte de halte au milieu de nos vies affairées, importantes, saines et constructives, comme un roman qu’on ouvrirait sur un quai. On regarde les autres ne rien faire, on voudrait être ce monsieur qui passe, on admire ce beau visage de femme, on rit de cette dame tirée par son caniche obèse, on s’amuse de ces jeans en lambeaux qui servent la mode djeun. On médit intérieurement au spectacle urbain qui se joue sous nos yeux. La méchanceté nous habite parfois lorsqu’on est oisif, car tout ce qui est spontané n’est pas génial. C’est là la mauvaise vie des gens inoccupés!
Lentement, le monde tourne autour de nous; nous nous y fondons. On aimerait refaire ce monde, car on est libre à la terrasse des cafés, rien ne nous retient. Il semble en effet que tout dépende de nous, de notre volonté, et nous projetons sur ce théâtre urbain nos plus secrets désirs. On y vit autrement.