Le marché de l’immobilier a beau être «serré», il y a des maisons qui ne se vendent pas. Et ce n’est pas à cause de la vétusté des lieux, d’un nombre de chambres insuffisant ou de l’emplacement. Les critères retenus par un futur acquéreur avant de se lancer dans l’achat d’une maison sont nombreux. Mais il y en a un auquel on ne pense pas immédiatement: c’est la réputation d’un lieu. Un passé tragique peut diminuer le prix d’une propriété de l’ordre de 10% à 25% et même jusqu’à 50%!
Les faits divers sordides qui se sont déroulés au cours des dernières années en Suisse romande ou en France voisine ont causé la stigmatisation de ces demeures. On peut évoquer celle de François Légeret, condamné en 2010 à perpétuité pour le triple meurtre en 2005 de sa mère, d’une amie et de sa sœur. Située aux Monts-de-Corsier/VD, la propriété a été vendue trois ans plus tard 1’060’000 francs, alors qu’elle était estimée à 3,25 millions de francs. En France, la demeure des Dupont de Ligonnès, famille massacrée par le père toujours introuvable – la presse évoquait la «tuerie de Nantes» – a mis des années à se revendre, à des étrangers et à la moitié de son prix, aux alentours de 200 000 euros. La liste ne s’arrête pas là. Plus près de nous, le chalet des Flactif, au Grand-Bornand (Haute-Savoie), avec ses 260 m2, sept chambres, trois salles de bains et son garage pour six voitures. Estimé à 
826 000 euros, «après dépréciation pour des faits criminels», il a été cédé pour 
315 000 euros. Désormais rénové et rebaptisé, le chalet est mis en location à la semaine, avec parking gratuit.

Le passé resurgit

Ce n’est pas une surprise en soi: les demeures qui ont été le théâtre de morts violentes trouvent moins facilement preneur que les autres. Elles mettent aussi deux fois plus de temps à se revendre. Cette période de latence peut paraître normale de prime abord, au vu du temps que peut prendre une enquête ou le règlement d’une succession. A Genève par exemple, l’appartement du banquier Edouard Stern, assassiné en 2005 dans sa chambre à coucher, a toujours les stores clos. A la frontière genevoise, à Prévessin-Moëns (Ain), où le faux docteur Romand avait abattu son épouse et ses deux enfants en 1992, la maison a mis du temps a retrouver des locataires. Les propriétaires de l’époque ont longtemps pensé à la raser. Plus de vingt ans après le drame, une habitation a aussi le droit à l’oubli… Toutefois, régulièrement, le drame refait surface après une émission à la télévision, une enquête dans la presse. Et le passé resurgit.

Pas d’obligation de signaler

Il faut savoir que sur un plan strictement juridique, une agence immobilière ou une régie ne sont pas tenues d’informer le nouveau propriétaire ou locataire de ce qui s’est passé dans un appartement ou une maison, selon le grand avocat Me Marc Bonnant. Reste que le bouche-à-oreille suffit à ternir l’âme d’un logement si une mort violente, un suicide ou une noyade s’y sont produits.
«La survenue d’un événement tragique ou d’un crime dans une maison implique dans la conscience collective l’empreinte d’une mémoire traumatique sur les murs du logement, devenu l’unique témoin de l’horreur», indique l’agence immobilière parisienne Immocomplexe, spécialisée dans la vente de «biens difficiles». Sa mission: «racheter le bien immobilier et le nettoyer de sa réputation. (…) Le fait d’offrir une parenthèse, durant laquelle de nouveaux acquéreurs évolueront sainement et sans drame dans la maison aidera les potentiels acheteurs à baisser leur garde. Fort d’une nouvelle histoire et d’une nouvelle mémoire, le logement prendra de la valeur et suscitera davantage l’intérêt de possibles acquéreurs».
L’immobilier n’est pas qu’une question d’emplacement, En réalité, c’est la perception, l’image que l’on peut avoir d’un lieu qui joue un rôle. «Il y a des personnes qui ne pourraient pas vivre dans une demeure où un crime sanglant s’est déroulé, mais à d’autres, cela fait ni chaud ni froid», constate le professeur Philip D. Jaffé, psychologue clinicien.
Valérie Duby

Signal d’une malédiction?
Professeur à l’Université de Genève, Philip D. 
Jaffé (photo) observe qu’en général, «la norme, c’est plutôt que les gens ne peuvent habiter dans un lieu où un drame est survenu. Leur sentiment est que leur intimité peut être est contaminée par les événements qui s’y sont déroulés. Le mécanisme est psychologique, voisin de la surpersonnalisation. Comme si ce qui s’est déroulé restait dans l’air et avait encore un effet dans l’environnement. Ensuite, il y a le sentiment chez certains qu’un lieu entaché d’un crime est un signal qu’une malédiction existe et qu’elle pourrait se perpétuer. Cela étant, il y a des personnes qui ne parviennent pas non plus à emménager dans une habitation où une personne est paisiblement décédée de causes naturelles».
Et à l’autre bout du panel? Peu de personnes aimeraient occuper un espace où tueur en série a sévi… «Qui aimerait acheter la maison de Dutroux?». Le professeur Jaffé émet toutefois un doute: «Il y a probablement quelques amateurs un peu particuliers qui recherchent ce type de bien…».

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