Or il semble qu’avec mon corps, je n’entretiens pas de rapport d’appartenance: c’est évidemment «mon» corps, mais d’une certaine façon je «suis» aussi ce corps. Je n’ai pas à le mettre au centre de toutes mes préoccupations, ni à le vénérer, ni à le dénigrer; il n’est pas un objet au même titre que tous les objets du monde: je dois le soigner et le respecter. Hors de question d’y déverser, par exemple, de la malbouffe comme dans une poubelle.
Mais qu’en est-il de la mode des tatouages? Puis-je écrire et dessiner sur mon corps? Je ne veux pas parler ici de la signification des tatouages, monde complexe s’il en est. Venue de la nuit des temps cette pratique, au début du XXe siècle, était une pratique antibourgeoise prisée des milieux populaires: marins, soldats, prostituées… Aujourd’hui, tout le monde y va gaiement, car la société du paraître s’est généralisée. Mais est-on fondé à prétendre que ce rapport à notre corps nous révèle le malaise vécu dans le paysage contemporain où chacun n’est plus personne? Y voit-on le désir que le corps devienne la mémoire de l’individu qui utilise sa peau pour y inscrire définitivement les moments de sa vie? Le message est clair: je ne veux pas oublier ce que je fus et je veux que tu le saches. Le corps tatoué devient le théâtre du malaise de la disparition dans la masse.
La personne tatouée s’est incorporé la représentation qu’elle veut donner d’elle, contrairement au maquillage qui demeure une volonté de soustraire ce qu’on est au regard de l’autre. Tatoué, le corps devient bel et bien un objet qui se donne à voir, mais un objet tellement intime et personnel qu’il rejoint presque le «moi»: je suis mon tatouage, comme je suis mon passé.

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