Les circonstances exceptionnelles de cette période inédite ont brusquement interrompu le flux habituel de notre vie, nous avons appris à nous arrêter et nous nous surprenions à prendre le temps pour écouter vraiment notre enfant, notre partenaire, nos parents, nos amis sans penser à la prochaine tâche qui nous attendait et nous imposait cette écoute partielle que nous connaissions si bien « je t’écoute bien sûr, mais j’aurais dû partir il y a 10 minutes »

Nous réapprenons à être proches de nos proches à distance et réalisons avec nostalgie que nous avons perdu, au fil des années, des milliers d’heures d’échanges avec eux.
Une véritable épiphanie nous a amené à réaliser notre fragilité, à assumer notre authenticité, à nous engager en toute simplicité dans des actes de solidarité et exprimer avec humilité notre empathie et notre reconnaissance.

A 9 heures du soir nous sommes à nos fenêtres pour applaudir nos héros dont l’engagement et le courage sauvent des vies jour après jour et réalisons à quel point la hiérarchie sociale d’A.C. (avant corona) était factice et absurde.
Ce confinement dont nous attendons tant la fin, nous fait vivre des expériences potentiellement salvatrices, au-delà du fait que la nature autour de nous a repris ses droits et l’air et l’eau sont de moins en moins pollués. Ce que la jeune Greta essayait de nous expliquer, le virus nous l’a fait comprendre.
Pendant cette période d’isolation qui provoque paradoxalement tant de rapprochements, l’humanité est en train de se scinder en deux camps, toute appartenance idéologique, politique et économique confondues : le camp de ceux qui veulent retrouver le monde d’avant et le camp de ceux qui veulent faire naître un monde nouveau.

En temps de crise, c’est un réflexe naturel de chercher à retrouver le monde tel que l’on l’a quitté, de retrouver ce que l’on a connu et considéré comme normal.

Cependant des bouleversements aussi profonds que ceux que nous vivons actuellement offrent une opportunité unique et inespérée de découvrir et reconnaître les failles et dysfonctionnements du monde qui était le nôtre car ces circonstances nous ont profondément changés et nous ont rendu capables d’envisager des modèles sociaux et économiques audacieux et novateur qui nous auraient semblés inimaginables il y a encore quelques semaines.
Face aux innombrables manifestations de solidarité, de coopération et d’altruisme, même les plus sceptiques réalisent avec stupeur que face à un réel défi, infirmières et infirmiers, médecins, vendeurs, éboueurs et tous les travailleurs des métiers essentiels font un travail héroïque jour et nuit, dans des conditions éprouvantes.

Un des principaux obstacles à l’adoption de modèles de management respectueux des individus était la croyance largement répandue selon laquelle les gens ne travailleraient que pour gagner de l’argent.

Cette croyance se fissure devant le spectacle des innombrables actes de solidarités inédits et réinventés dans l’urgence.

De très grandes économies pourraient être réalisées dans de nombreux secteurs en optant pour des changements novateurs, audacieux, réalistes et compatibles avec la performance économique.

Le burn-out, phénomène galopant des derniers décennies, dont le coût économique atteint plus de 10 milliards de francs par année, pourrait être réduite progressivement jusqu’à disparaître grâce à des méthodes de prévention novatrices.

Bien que diagnostiqué chez les travailleurs, le burn-out résulte des dysfonctionnements des entreprises et des organisations. Ce sont ces dernières qui devraient être conseillées et encadrées pour parvenir à abandonner les conditions de travail basées sur le contrôle, la compétition et la pression permanente dans un esprit de méfiance préventive face à leur collaborateurs sous la pression de la logique du « toujours plus, toujours plus vite ».
Humaniser le travail, introduire des modèles d’organisation basés sur la confiance réciproque, sur le partenariat, sur le dialogue et sur la coopération permettrait d’épargner beaucoup de souffrances et les coûts exorbitants que cette souffrance engendre.

La crise du Covid-19 relance l’idée du revenu inconditionnel universel dans plusieurs pays d’Europe, promesse d’une réflexion courageuse, généreuse et probablement efficace. Repenser le travail en séparant la nécessité de subvenir aux besoins de base de chaque être humain du travail en tant que moyen de produire, de créer, de devenir un membre responsable et utile de la collectivité est un énorme pas vers le progrès social, qui a une dimension économique et une dimension idéologiques.

En ce qui est de la dimension économique, nous avons vu en ces temps d’exception que des solutions étaient trouvées rapidement à un grand nombre de problèmes imprévus, dès que l’on était convaincu qu’elles étaient nécessaires.

Les obstacles idéologiques ont leur racine dans la croyance que les gens ne travailleraient pas s’ils avaient de quoi vivre sans travailler. Mais on observe que le travail occupe une place centrale dans la vie des gens lorsqu’ils sont reconnus et écoutés et ont de vraies fonctions et responsabilités.

Dans ces conditions le travail est synonyme de créativité, d’engagement, de vocation voire de passion et non pas de servitude, de dépendance, de soumission.

Repenser l’école serait également urgent et essentiel et permettrait de réaliser d’importantes économies et d’offrir des conditions de travail dignes et motivantes aux enseignants.

Créer des univers scolaires bienveillants et efficaces pour que l’école soit un lieu de réel enrichissement intellectuel, social, humain et émotionnel ne demanderait pas des investissements économiques mais des changements d’approches pédagogiques et sociales.
Le burn-out des enfants, les troubles d’apprentissage et de comportement, les souffrances scolaires allant jusqu’à la phobie scolaire sont de plus en plus fréquentes, provoqués par la course à la performance et par l’esprit de compétition d’un système scolaire dépassé.
Et tant d’autres domaines à reformer, à développer, à réorienter, à repenser dans cette situation jamais vue où tout d’un coup tout peut devenir possible, imaginable et réalisable et où chacun d’entre nous peut être acteur de changements.

Judit Varadi

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