Cette réforme est saluée par les représentants des propriétaires. Elle est catégoriquement rejetée par l’Asloca, qui a déjà annoncé qu’elle lancerait un référendum. En pleine période électorale, les positions exprimées par chaque camp durant les débats parlementaires en plenum ont été caricaturales. Pour bien saisir les enjeux de cette (modeste) réforme, il n’est donc pas inutile de revenir sur le contenu des modifications adoptées.

Sous-location

Le Parlement a adopté de nouvelles règles en matière de sous-location (art. 262 CO) pour empêcher les abus. Le droit du bail est enrichi par des dispositions qui adaptent et complètent les exigences.
La loi adoptée prévoit désormais explicitement que le locataire ne peut sous-louer que moyennant le consentement écrit du bailleur. Le locataire devra adresser au bailleur une demande écrite de sous-location, à moins que les parties en aient convenu autrement par écrit. La demande devra contenir les informations suivantes: le nom du sous-locataire et les conditions du contrat, notamment la désignation de l’objet sous-loué, son usage, le loyer de la sous-location et la durée de la sous-location.
Si des changements concernant les indications fournies dans la demande interviennent pendant la durée de la sous-location, le locataire aura l’obligation d’en informer le bailleur.
La nouvelle loi prévoit deux nouvelles raisons permettant au bailleur de refuser la sous-location: (i) le locataire refuse de lui communiquer toutes les informations requises par la loi (nom du sous-locataire et conditions du contrat; voir supra) et (ii) la durée prévue pour la sous-location dépasse deux ans.
Comme c’est le cas actuellement, le bailleur pourra refuser la sous-location si les conditions de la sous-location, comparées à celle du contrat de bail principal, sont abusives ou si la sous-location présente pour le bailleur des inconvénients majeurs.
Contrairement au droit en vigueur, le bailleur pourra invoquer des motifs de refus de la sous-location qui ne sont pas expressément mentionnés dans la loi («le bailleur peut notamment refuser son consentement dans les cas suivants»). La jurisprudence devra préciser ces cas, étant précisé qu’à notre avis, les motifs devront être sérieux et importants et le bailleur devra être de bonne foi.
La nouvelle loi n’indique pas dans quel délai le bailleur doit donner sa réponse et ce qu’il se passe si le bailleur refuse de prendre position sur une demande de sous-location.
Enfin, le texte adopté prévoit un motif de résiliation extraordinaire concernant la sous-location. Si le sous-locataire sous-loue tout ou partie de l’objet sans le consentement écrit du bailleur, qu’il donne de fausses indications ou qu’il omet d’informer le bailleur d’un changement se rapportant aux indications fournies avec la demande écrite de sous-location, le bailleur pourra, après une protestation écrite restée sans effet, résilier le bail moyennant un délai de congé de 30 jours.
Résiliation anticipée du bail en cas de changement de propriétaire
A. Rappel  
Si après la conclusion du contrat de bail, le bailleur aliène la chose louée, le bail passe à l’acquéreur avec la propriété de la chose (art. 261 al. 1 CO). Le transfert de propriété entraîne ainsi, automatiquement, celui des baux en cours. Ils passent au nouveau propriétaire, avec tous les droits et obligations qui leur sont attachés, pour l’avenir et dans leur état au moment de l’inscription du nouveau propriétaire au Registre foncier. Les baux restent valables sans que les parties n’aient à conclure des avenants.
Devenant partie au bail dès le transfert de propriété, l’acquéreur peut le résilier pour la prochaine échéance contractuelle. Comme n’importe quel bailleur, l’acquéreur peut aussi résilier le contrat de manière anticipée si le locataire est en retard dans le paiement du loyer, viole ses devoirs de diligence, tombe en faillite ou pour de justes motifs.
Cela dit, le législateur a accordé un privilège à l’acquéreur. Dès qu’il devient propriétaire, il peut aussi résilier le bail de manière anticipée «pour le prochain terme légal, en respectant le délai légal de congé» (art. 261 al. 2 CO). Il n’a pas à respecter l’échéance et le délai de préavis contractuels. Par exemple, un bail concernant des locaux commerciaux à Genève débute le 1er janvier 2020. Le bail est conclu pour dix ans et se renouvelle ensuite d’année en année. La prochaine échéance contractuelle est le 31 décembre 2029. Si le nouveau bailleur requiert son inscription comme propriétaire de l’immeuble le 15 septembre 2023, alors il pourra résilier le bail de manière anticipée pour le 31 mars 2024.
B. Besoin urgent
Ce droit de résiliation anticipée n’est toutefois à disposition du bailleur de locaux d’habitations et de locaux commerciaux que s’il peut se prévaloir pour lui-même ou pour ses proches «d’un besoin propre et urgent» de la chose louée.
S’agissant d’habitations, il s’agit du besoin propre pour la personne physique de pouvoir utiliser le logement, qu’il s’agisse de l’acquéreur lui-même ou de l’un de ses proches parents ou alliés. Concernant les locaux commerciaux, la personne physique qui en acquiert la propriété ne peut justifier d’un besoin propre que si elle a la volonté de reprendre elle-même l’exploitation d’un commerce dans les locaux, à ses risques et profits.
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le besoin du nouveau propriétaire est urgent «lorsqu’on ne peut pas, pour des raisons économiques ou pour d’autres raisons (par exemple personnelles), exiger de lui qu’il renonce à utiliser l’habitation ou le local commercial loué». Cette condition de l’urgence a été introduite par la révision du droit du bail entrée en vigueur en 1990. Lors des débats parlementaires en 1989, le besoin urgent a aussi été qualifié d’immédiat, réel et actuel (c’est-à-dire ni futur, ni hypothétique, ni virtuel). La jurisprudence en a déduit que la notion d’urgence était non seulement temporelle, mais aussi matérielle, en ce sens que les motifs invoqués devaient, selon le Tribunal fédéral, «revêtir objectivement une certaine importance». Le besoin du bailleur doit être sérieux, concret et actuel. Il l’emporte alors sur l’intérêt du locataire.
Le bailleur n’a pas besoin d’être dans une situation de contrainte, voire un état de nécessité. Ainsi, le congé donné par le bailleur a été admis par exemple dans les cas suivants: un bailleur acquiert un immeuble à Zurich et prévoit de réunir deux appartements du premier étage en un seul, de l’occuper lui-même et de mettre l’appartement du deuxième étage à la disposition d’un membre de sa famille. Cela implique la résiliation des baux des locataires. Les résiliations ont été jugées valables par toutes les instances saisies. Le Tribunal fédéral a aussi admis le congé d’un bail commercial portant sur un bar-discothèque que le (nouveau) bailleur entendait exploiter lui-même.
C. Longues procédures et prolongation du bail
En pratique, en cas de contestation judiciaire du congé par le locataire, le nouvel acquéreur ne peut pas prendre possession des locaux avant plusieurs mois ou années.
Cela s’explique par le fait que quatre instances doivent se prononcer (commission de conciliation, tribunal cantonal de première instance, tribunal cantonal de deuxième instance et Tribunal fédéral) et que les locataires obtiennent souvent une prolongation de bail en justice (art. 272 al. 2 let. d CO).
D. Modifications adoptées
Le projet initial soumis au Parlement devait permettre de réduire la durée des procédures judiciaires portant sur la résiliation du bail justifiée par le besoin du bailleur ou de ses proches et d’assouplir les critères appliqués par la jurisprudence, afin de permettre au nouveau propriétaire d’imposer plus facilement une résiliation anticipée du bail pour besoin propre.
Après une procédure de consultation, l’Assemblée fédérale a finalement décidé d’adapter le droit du bail en supprimant la notion de «besoin urgent». La loi adoptée prévoit que le (nouveau) bailleur pourra faire usage de son droit de mettre fin à la location en résiliant le bail, s’il peut faire valoir, «sur la base d’une évaluation objective, un besoin propre important et actuel». Lors des débats parlementaires, ces notions n’ont pas été définies.
Si l’on peut saluer la suppression du terme «urgent» qui est devenu inutile (la notion d’urgence ayant été fortement relativisée par les tribunaux, qui n’exigent pas que le bailleur soit dans une situation de contrainte ou en état de nécessité pour récupérer les locaux), on relèvera que le Tribunal fédéral exige déjà aujourd’hui que le besoin soit «important et actuel».
Le nouveau texte légal ne tient pas ses promesses. Il ne permettra en effet pas de résilier le bail de manière anticipée (beaucoup) plus facilement qu’actuellement. Le législateur a d’ailleurs renoncé aux seules mesures qui auraient vraiment pu faciliter la tâche des bailleurs: (i) interdire la prolongation de bail en faveur du locataire en cas de résiliation anticipée du bail valablement donnée par le nouveau propriétaire et (ii) l’adoption de la procédure sommaire pour les procédures de résiliation de bail pour besoin propre du bailleur. Les représentant de l’Asloca ont donc tort de crier au loup. Les propriétaires ont quant à eux tort de (trop) se réjouir.
Guillaume Barazzone
Avocat associé, 
Etude Jacquemoud Stanislas, Genève
guillaume.barazzone@jslegal.ch

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