J’aime bien, comme beaucoup de monde d’ailleurs, me balader dans les musées. Nous avons la chance de posséder ici de superbes musées. Même si on connaît bien telle galerie, il y a tant d’objets exposés qu’on n’a pas assez bien vus. Les sculptures, les tableaux, les faïences, les bronzes, les armes, tout ce passé admirable conteste au présent le monopole de la présence. En effet, comme les grands livres, les grands musées proposent un chemin (contrairement à l’écran qui impose un flux, une glissade ininterrompue) dans lequel le présent n’entre pas vraiment, une voix qui provient de l’autre rive.

Lorsqu’on pénètre dans un musée, dans un livre, on coupe le contact avec nos contemporains; lorsqu’on allume son smartphone, on entre en communication avec eux. Le «tout, tout de suite» de la Toile, l’efficacité ahurissante des liens possibles, l’instantané du clic de l’ordinateur nous ont appris l’impatience. Il suffit de pénétrer deux heures dans un musée pour renouer avec la patience du voyageur immobile.

Une grande partie des visiteurs entre au musée pour deux raisons: la première est évidemment de se plonger dans les racines des civilisations, et de la nôtre en particulier – on a tant besoin de racines; la seconde raison vient de ce temps différent qu’on rencontre dans les musées. L’information en continu alimente l’oubli de l’œuvre d’art et nous met en présence du babil insignifiant du virtuel. Babil largement insatisfaisant aussi. Le musée rompt avec le surf et avec la navigation continue, le cyberespace du digital, pour nous proposer des arrêts salutaires.

Visiter un musée, c’est prendre conscience de notre rôle dans l’histoire, c’est rejoindre notre identité d’homme, et cela grâce à trois conditions: le silence, la solitude et la lenteur. Ces trois éléments essentiels sont aujourd’hui simultanément contestés. C’est sans doute pourquoi les gens aiment tellement visiter les musées: les échos lointains qu’ils y perçoivent leur permet de se retrouver face à eux-mêmes.

Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

 

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