Peut-on imaginer deux termes si profondément unis étymologiquement et si vigoureusement rivaux intellectuellement? On aime le peuple, principe actif en démocratie, et on y déteste le populisme; le peuple est le fondement de tout pouvoir, alors que le populisme est tenu pour le fondement de toute tricherie politique. Pour faire simple, dans l’esprit de nos bien-pensants, le peuple est toujours de gauche, le populisme toujours de droite, et c’est au nom du peuple qu’on vilipende le populisme.
On pourrait dire du populisme ce que Marx pensait de la religion: à la fois le symptôme d’un désenchantement politique et l’expression d’une illusion. Il prend sa source dans les dysfonctionnements du régime démocratique et dans la non-résolution de la question sociale. S’appuyant sur une vague de mécontentement, fortement émotionnel, le populisme a toujours été suspecté de démagogie et tenu pour un détournement de la démocratie. Mais il existe aussi un populisme de gauche, qui donne dans la simplification, suspecte du pire la classe politique, se dit le vrai haut-parleur du peuple, et va régulièrement lui demander, par référendum, ce qu’il pense – puisqu’il est le pouvoir du «dernier mot».
Or la République ne se réduit pas à un régime de décisions, et nul, de gauche ni de droite, ne peut prétendre défendre la démocratie en se fondant sur ce qu’elle est devenue aujourd’hui, une simple juxtaposition d’individus sans projet commun et sans direction claire. Au fond, à part vivre sur le même territoire, nos démocraties se sont vidées peu à peu de sens, dans la mesure où elles peinent à organiser des projets communs, à part faire la fête toujours et partout bien sûr. La vie de la démocratie devrait être enrichie pour faire pièce à tous les populismes qui y germent à l’envi. Mais nous n’en prenons pas le chemin, loin de là, et il faut considérer les populismes du XXIe siècle de la même manière que nous considérions les totalitarismes du XXe: des régimes de force qui germent sur des faiblesses.